FIN DE CHANTIER
Des visites de réalisations en cours ou récentes pour écouter les maîtres d’ouvrage et les architectes retracer la genèse de leurs projets, pour en révéler les contraintes, les grandes options et la méthodologie mise en œuvre.
Un débat pour apprécier l’imbrication des rôles, au service du projet.
Filo
Extension et surélévation d'un pavillon de 1977
Sucé-sur-Erdre, Loire Atlantique
LUCILE BUQUET ARCHITECTE
2020
L'architecture résiliente se nourrit de l'histoire de son site, du déjà-là, elle n'est jamais en rupture avec son contexte, elle est une invitation à la jouissance du lieu pour tous.
L'architecture résiliente est une réponse constructive sobre et pourvues de qualités spatiales généreuses. Elle tend à être évolutive si son système constructif est suffisamment rationnel (le programme n'est plus si dominant qu'auparavant).
L'architecture résiliente est constituée de matériaux locaux, raisonnés ou biorsourcés. Les matières synthétiques peu recyclables ou à usage dispersif comme la peinture son évitées.
L'architecture résiliente fait état des différentes espérances de vie de ses composants, l'imbrication des éléments à faible durée de vie (techniques ou à valeur d'usage) à la structure est réfléchie et limitée.
LUCILE BUQUET ARCHITECTE
Au départ, il y a ce « coup de foudre » pour cette parcelle verdoyante tout en longueur. Elle est agrémentée d’une grande marre aux abords d’un espace naturel peuplé d’oiseaux sauvages. Le pavillon de 1977 était lui, tout à fait ordinaire : des murs en crépi, des fondations saines, des fermettes bois surmontées d’un toit amianté, un espace intérieur ultra cloisonné, un garage et une coquette véranda accolée, pas d'isolation.
Le caractère exceptionnel du jardin pousse l’entreprise de grands travaux pour la maison : une surélévation et une extension seront finalement convenues, en lieu et place d’une rénovation plus simple.
Dans la forme, le parti pris est de garantir une volumétrie simple et élégante. Une trame géométrique de 140cm basée sur les ouvertures existantes servira de guide tout du long du processus de conception, à l’intérieur comme à l’extérieur, en plan comme en élévation. Les deux extensions du RDC encadrent un nouveau porche d’entrée semi-extérieur pour les vélos, permettant de créer une profondeur atypique et japonisante. Le porche peut être fermé à l’aide d’un grand portail coulissant calqué sur le rythme de la façade bois en claire-voie.
La surélévation de la maison à proprement parlé n’excède pas les 150cm grâce à cette nouvelle avancée géométrique. Deux grandes lucarnes vitrées permettent de s’ouvrir pleinement sur le jardin d’un côté, et de créer un espace type tropézienne côté rue pour la lumière et l’intimité d’une pièce bureau.
À l’intérieur, les espaces du rez-de-chaussée communiquent largement les uns sur les autres, pour garantir des vues constantes sur l’extérieur tout en créant des circulations séquencées tantôt par les jeux d’ombre et de lumière du porche d’entrée, tantôt par la mise en scène d’un grand escalier droit, accolé par une rangée de tasseaux rappelant la façade. Une double hauteur amplifie l’espace de vie dans le salon-cuisine. Le nouveau plancher bois s’appuie au-dessus des murs existants ce qui agrandit la hauteur au rez-de-chaussée de 50cm.
Les grandes lucarnes vitrées permettent à l’étage de ne pas se sentir sous un comble. Il est décidé l’emploi privilégié de matériaux biosourcés : structure bois pour les extensions et le plancher, plaque de fermacell pour couvrir les murs existants, contreplaqué bois pour la nouvelle distribution intérieure, sol parquet, tasseautage claire-voie pour la façade en douglas, ardoises naturelles pour le toit et peinture à l’huile de lin naturelle décorative.
Le projet évite l’utilisation du BA13 en mur et plafond, ainsi que les matières synthétiques. L’ampleur du projet permet de reconstituer une isolation par l’extérieur efficace et complète.
La distribution des réseaux est repensée par le sol afin de garder apparentes les poutres bois du plancher. Un poêle à bois sera implanté pour les énergies renouvelables dans le salon-cuisine. En plafond, les réseaux électriques sont simplement desservis par des chemins de câbles et des tubes métalliques apparents pour limiter les interactions avec la structure bois.
Le projet de réhabilitation d'un pavillon existant, plutôt qu'un projet de construction neuve s'est révélé une évidence : entre la rarification des fonciers vierges disponibles, l'artificialisation des sols et l'étalement urbain des dernières décennies, il fallait envisager autre chose qu'un terrain neuf à construire. Le projet est un des exemples de transformation pavillonnaires privilégiant les matériaux biosourcés, qui plus est, sur un site classé Natura 2000. Nous espérons susciter d'autres transformations de ce type dans la banlieue nantaise, fortement pressurisée par le marché immobilier actuel.
Un maximum de matériaux biosourcés ont été utilisés pour ce projet : Structure bois primaire et secondaire en pin, cloison séparative en peuplier pour la distribution intérieure sans peinture, fermacell et peinture naturelle à l'huile de lin pour l'habillage des murs parpaings existants, tasseaux de façade en douglas français, tuiles en ardoise, parquet chêne français etc..
Les éléments techniques du bâtiment sont volontairement dissociés des éléments architecturaux afin d'être facilement réversibles. Ainsi les éléments de durée de vie moyenne à courte tels que les éléments techniques ou les revêtements de surface (5 à 15 ans) sont séparés des éléments à durée de vie longue, tels que les cloisons ou structures bois et les dalles de sol (30 à 50 ans). Le projet ne présente ainsi aucun faux-plafond, l'ensemble des circuits cheminent via un chemin de câble suspendu et visible, le chauffage se fait par terminaux « classiques », aucun revêtement de sol n'est collé au plancher (hormis pour les salles humides du fait de l'étanchéité requise).
La parcelle du projet étant classé natura 2000, l'intervention d'un paysagiste (F. Hérisset, AJAP 2018) s'est révélée essentiel pour décrypter les enjeux du site : L'idée est de traitée la parcelle tout en longueur du plus domestique au plus sauvage. Durant les premières années du jardin et dans les parties les plus sauvages (vers la marre) nous laisserons opérer le cycle de reproduction naturelle de la flore in situ pour consolider le patrimoine végétal en place puis procéder à une sélection sur un temps long (5 à 7 ans). Les zones tondues se cantonneront à un périmètre défini autour de l'habitation, avec quelques passages dans les zones laissées en friches. Enfin, les parties au plus proche de la route pavillonnaire seront traités dans un langage plus foral et domestique.
Mon parcours professionnel et mes réflexions à titre privé, propre à la jeune génération d'architectes, ont fabriqué le projet FILO :
D'une part, la sensibilité au bâti existant, du fait de mon parcours professionnel uniquement dédié aux projets de réhabilitation (Le pavillon Dufour au château de Versailles et la réhabilitation de l'hôtel industriel Berlier avec l'agence Dominique Perrault -avec laquelle je travaille toujours-, et la réhabilitation du Musée des Beaux-Arts de Valence avec l'agence Philippon) ont rendu au fil du temps la construction neuve comme questionnable, et la réhabilitation comme une évidence. A l'aube du projet de loi « Zéro artificialisation » : sommes-nous la première génération d'architecte à n'avoir jamais construit de projet neuf ?
Pour ce projet de maison individuelle, le patrimoine n'est plus constitué de murs centenaires, mais il est envisagé à travers des éléments plus subtils tel que le respect du gabarit de la construction existante et de son rapport à la rue, de l'observation et l'appropriation lente du terrain et ses végétaux, la connaissance de l'histoire du quartier et de ses habitants…
D'autre part, la réflexion à titre personnel sur les aspects écologiques d'une écriture architecturale contemporaine et de ses limites à l'heure de la décroissance et de la permaculture. J'y vois plusieurs atouts : La vérité du matériau et la lisibilité constructive comme outils de sélection de matériaux durables, nobles ou interchangeable si nécessaire.
J'y vois des inconvénients : la recherche de la finesse et de la transparence à outrance entraînant l'utilisation peu raisonnée du métal, du verre ou du béton.
Pour le côté opérationnel du projet, un bureau d'étude structure a été nécessaire pour le calcul des frangements et de l'ossature bois neuve (AREST et SAFRAN CB).
Une thermicienne (F. Royer) est intervenue pour une mission d'accompagnement en études avec une aide pour :
- La sélection d'énergies renouvelables appropriées au projet (ici un poêle à bois et du gaz de ville pour le chauffage courant)
- La prescription de l'isolation par l'extérieur du projet
- L'étude sur la pertinence d'un chauffe-eau solaire (qui s'est révélée négative compte-tenu de l'orientation des pans de toiture existants et conservés)
Un paysagiste (François Hérisset) est intervenu pour l'analyse du site végétal et la proposition d'un projet paysager envisagé sur le long terme (7 ans).